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Le démon de midi – Que se passe-t-il vers 45-55 ans ?

D’abord ce constat étonnant : il y a peu de littérature sur le sujet.

On trouve facilement des livres sur les étapes de croissance de l’enfant, la crise de l’adolescence, le couple etc. Curieusement, il y a très peu de bouquins sur le développement psychologique et les choses à vivre à l’âge de la maturité. C’est d’autant plus étrange qu’on entend souvent parler de clichés sur cette période : l’homme atteint du démon de midi qui quitte sa femme pour une plus jeune, la mère qui s’effondre face au nid vide, l’homme qui quitte tout pour faire un soudain tour du monde. Ces situations existent bel et bien, mais sont-elles fréquentes ?
Le démon de midi : mythe ou réalité ?
Peut-on dire que la crise de la cinquantaine apparaît parce qu’on a 50 ans ? Et c’est quoi cette crise ?

Voici un historique simplifié du concept:

  • 1965 : « Il existe une crise de milieu de vie qui serait une conséquence directe de la prise de conscience de sa mortalité. Elle se traduit et se définit par un sentiment intérieur d’urgence, confusion, panique face à la conscience d’un temps désormais compté. »
  • 1970 : « 80% des 40 à 55 ans seraient supposés vivre un état de crise qui bouleverserait de fond en comble le cours de leur existence, les exposant aux plus terribles dangers : relations extraconjugales, divorce, éclatement relationnel, perte de sens, angoisses liées au vieillissement. »
  • 1990 : « Cette crise n’a rien à voir avec l’âge de l’individu mais renvoie à des événements difficiles (deuil, chômage, conflit relationnel, dépression, problème de santé) survenant au cours du milieu de la vie. »
  • 1999 : Une étude menée à grande échelle sur 8000 personnes, âgées de 25 à 74 ans, montre que « la crise du milieu de vie ne concerne que 8% des personnes interrogées. La crise du milieu de vie n’est pas en relation directe avec le fait d’arriver à 45..55 ans.  Un événement difficile survenant à 20 ans, à 30 ans ou à 70 ans est susceptible de générer une même situation de crise.  La crise de la cinquantaine n’existe donc pas. »

 Se passe-t-il tout de même quelque chose durant cette période de l’existence ?

Bien sûr que oui. Mais que se passe-t- il ? Dans l’article, j’expose les situations concrètes que l’on rencontre comme praticien en relation d’aide. Ces situations sont moins spectaculaires que l’image que l’on peut avoir du démon de midi. Elles indiquent que la période du milieu de vie peut être difficile à vivre . L’article tente d’expliquer les causes et les éléments déclencheurs des difficultés.

Situations rencontrées :

  • Nathalie, 47 ans :  Vu de l’extérieur, elle a tout pour être heureuse : belle maison aisance financière etc. Elle se bat contre un sentiment de vide intérieur, comme si sa vie perdait son sens. « Je me sens perdue. Les enfants commencent à se débrouiller et ont moins besoin de moi. »
  • Philippe (51 ans) a divorcé car il se sentait à l’étroit dans son couple et s’installe avec une femme de 46 ans. Il retrouve dans son nouveau couple le même sentiment de vide et d’absurdité. C’est déconcertant car il avait l’impression que la relation avec son ex épouse était la cause de son malaise. « J’ai l’impression d’un vide de sens. »
  • Françoise, 48 ans « Dès que mon mari quitte la maison, je me retrouve seule et ne peux retenir mes larmes. « Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Je meurs à petit feu. Ça va passer. »
  • Jean, 52 ans. « J’occupe un poste de direction. Le soir, pour parvenir à trouver le sommeil, je me sers plusieurs whiskies. Je n’ose pas en parler. Ca va passer .»
  • Antoine, 49 ans « Depuis tout petit, je fais ce qu’on attend de moi : les bonnes études, le bon mariage, la bonne position sociale, la réussite professionnelle. Ma vie est satisfaisante mais le bonheur n’est pas là. J’ai l’impression que je me suis perdu en cours de route. »

Ces témoignages montrent que vers 45..55ans, il y a des choses à vivre, une période de transition se présente. Pour la traverser sereinement, il est utile de bien comprendre ce qui se passe en nous :

  • Les enfants deviennent adultes. Ils quittent la maison. Ils choisissent leurs études et leurs partenaires.
  • Les années de vie en couple commencent à dépasser la vingtaine voire la trentaine.
  • Les perspectives d’évolutions professionnelles deviennent rares.
  • Nos œuvres à réaliser, nos rêves d’enfants nous reviennent à l’esprit.

Ces divers événements arrivent généralement vers le milieu de vie et peuvent entraîner l’un ou l’autre de ces états émotionnels :

  • Un questionnement sur le sens de la vie : quelle est la finalité de tout cela ? Suis-je en phase avec moi-même ? Quelle direction suis-je en train de donner à ma vie ? A moins qu’elles ne puissent être partagées, ces questions et hésitations induisent un sentiment de solitude intérieure et rumination.
  • Un vécu d’ennui ou de perte d’intérêt peut également se présenter. Certaines relations ne marchent plus comme avant sans qu’on en comprenne le sens ni la raison. Le futur semble sans grand intérêt, la routine s’installe, sans grande joie et même parfois avec morosité. Le succès est peut-être au rendez-vous mais on ne semble plus en tirer la satisfaction escomptée avec un sentiment de « tout ça pour ça ? »
  • De façon plus ou moins consciente, on remet en question la pertinence des valeurs ou des principes de vie qui ont guidé nos choix jusqu’à présent. Voilà le temps des questions du type « Comment aurait été ma vie si j’avais fait d’autres choix ?  Comment sera le reste de ma vie ?»
  • En réaction à ce questionnement, beaucoup réagissent avec un profond désir de changement : l’envie de quelque chose de nouveau, de plus excitant, afin de mettre un terme à cette inconfortable impression d’impasse. Pour certains, ce sera un goût pour davantage de simplicité, de calme, pour d’autre, la recherche de nouvelles expériences.
  • Et c’est ainsi que ce désir de vivre autre chose, combiné avec la prise de conscience que notre temps de vie est désormais compté, on réalise que ce qui n’est pas fait maintenant ne le sera peut-être jamais.
  • Et hop ! la porte est ouverte pour les décisions radicales et peu réfléchies en termes de conséquences : démissionner sans plan B, s’engager dans une relation extra conjugale, mettre à terre ce qu’on a mis tant de temps à construire. Lorsqu’elles surviennent, la radicalité de ces décisions fait qu’ on parle de crise au lieu de parler de période de transition qui est généralement bien vécue.

La période de transition du milieu de vie :

Cette période correspond à ce que Young (Psychiatre Suisse, 1875-1961) a appelé le processus d’individuation. La compréhension de ce processus permet de donner sens et cohérence à ce que l’on peut vivre d’inquiétant et de déstabilisant durant ce temps de vie.

Première étape du processus d’individuation: la phase d’accommodation.

Dès le plus jeune âge, nous réalisons que pour être aimés et pour que nos besoins primaires soient satisfaits, nous avons tout intérêt à être souriants, obéissants, conformes à ce qu’on attend de nous. Nous nous accommodons à notre environnement pour y trouver bonne place. Nous trouvons les meilleurs rôles pour vivre du mieux possible avec notre environnement. En fait, nous nous alignons aux attentes venant de l’extérieur. Nous devenons ce que nous croyons devoir être pour exister aux yeux d’autrui. Ce processus permet de recevoir amour et sécurité nécessaire à notre existence. Pour Young, cette personnalité que l’on construit durant la première moitié de notre vie porte le nom de Persona. Au fil des années, nous en arrivons à nous identifier plus ou moins à notre persona. La lassitude qui émerge en milieu de vie peut être comprise comme le ras le bol de nourrir cette persona qui n’est pas ou plus en phase avec qui nous sommes. Durant la première moitié de la vie, les bénéfices de ce processus d’accommodation dépassaient les inconvénients. Au milieu de la vie, ce n’est plus le cas et on réalise que les promesses de bonheur ne sont pas au rendez-vous. C’est la désillusion. En même temps que je construis ma persona, je construis aussi ma part d’ombre : c’est à dire que pour correspondre aux attentes venant de l’extérieur, je renonce à plusieurs parties de moi. Il s’agit par exemple d’une sensibilité artistique, un désir d’exploration du monde, une orientation sexuelle etc. Young a appelé « notre part d’ombre » nos projets non réalisés, les parties de nous même que nous avons laissées dans l’ombre. Dans notre part d’ombre, nous trouvons aussi nos pulsions primaires que nous avons refoulées car elles ne nous auraient pas permis de vivre en groupe : pulsions agressives, destructrices, morbides, sexuelles, nos envies perverses, jalousies… Notre part d’ombre contient ce qui n’a pas été possible d’extérioriser.

La deuxième étape du processus d’individuation est ce moment où l’on s’interroge sur cette persona. Est-ce qu ‘elle nous correspond ou non ? Nous commençons à douter. Cette persona qui était un facteur de sécurité devient étroite et ne nous correspond plus vraiment. C’est ce moment où on réalise qu’on souhaite vivre autre chose. Notre persona ressemble à une illusion que nous n’allons plus entretenir. C’est comme un deuil, non pas de notre jeunesse mais de la personne que nous avons cru être. Notre persona d’autrefois est remise en question et notre part d’ombre se manifeste. Attention à cette part d’ombre car bien qu’elle contienne nos projets non réalisés (expression artistique etc) elle  contient aussi d’autres part refoulées (agressivité..). Cet élan de la part d’ombre peut nous déstabiliser.

L’étape suivante du processus consiste à voir clair par rapport à nos habitudes de vie et à les remettre en question de façon lucide: divorcer, se marier, se (re)mettre à la musique, revoir sa position professionnelle en diminuant son temps de travail ou en s’orientant vers une voie plus porteuse de sens etc.  Cette période peut faire surgir des regrets, de la rancœur, de la lourdeur suivant ce qui a été mis dans l’ombre. Ce temps de questionnement peut être difficile à vivre : Comment savoir qui je suis ? Je suis tellement habitué à ce qu’on me dise ce qui est bon pour moi que je ne sais pas décider pour moi-même. Un soutien thérapeutique peut s’avérer bien aidant.

En conclusion, la tranche d’âge de 44 à 55 ans peut être vécue comme une période de transition où l’on cesse de nourrir une personnalité que nous avons tant cherché à construire pour enfin être nous-même et mettre en avant les parties de nous qui étaient restées dans l’ombre. Cette période est, me semble-t-il, plus facile à vivre lorsqu’on comprend ce qui se passe en nous.

Everard de Biolley, pour Mimoka.

Le présent article est largement inspiré du livre du dr Christophe Fauré : Maintenant ou jamais !La vie commence après 50 ans, Edition Albin Michel, 2020.